Pourquoi les hommes perdent le désir
Ils sont de plus en plus nombreux dans les cabinets des sexologues, avec leur désir en panne. Parce qu’ils ne veulent plus de sexe sans amour, parce qu’ils refusent la performance. Enquête chez ces nouveaux hommes fragiles.
Les hommes seraient-ils lassés d’avoir à être « des bêtes de sexe » ? En tout cas, ils consultent de plus en plus pour leurs problèmes de libido. L’andrologue et psychosomaticien Alain Mimoun a repéré l’émergence du phénomène il y a dix ans. « Depuis cinq ans, dit-il, les cas se multiplient. » François-Xavier Poudat, psychiatre et sexologue, constate aussi que la plupart de ses patients – dont 30 % lui sont adressés par leurs compagnes – confondent encore baisse de désir et problèmes d’érection. « C’est rassurant pour eux de croire qu’il ne s’agit que de défaillances mécaniques, mais les causes physiques ne concernent que 5 % des patients entre 30 et 50 ans. Très vite, les autres se rendent compte que leur souffrance est d’ordre psychologique. »
Dans un contexte où la jouissance est l’objectif numéro un, « le sexe est partout mis en avant, dans une course à la performance et une escalade du hard où l’autre devient une chose, déplore Gérard Leleu, médecin et psychothérapeute de couple. Mais je le vois chaque jour de façon criante : les patients ne veulent plus de ça. Ils souhaitent donner du sens au sexe, le réhumaniser et le resacraliser. »
Prisonniers de leurs états d’âme
Grégoire vient de renouer avec l’une de ses anciennes petites amies. Hédoniste et beau gosse, à 41 ans, il n’a jamais renoncé à une aventure et s’est longtemps plu à explorer les territoires extrêmes du sexe – échangisme, sadomasochisme, fétichisme. Mais depuis qu’il a retrouvé celle qu’il appelle Loulou, de quinze ans sa cadette, rencontrée il y a deux ans lors de ses pérégrinations nocturnes, sa vie sexuelle s’est arrêtée net. « Loulou me réclame dans son lit, mais je m’y refuse. Avec elle, je ne veux plus d’une histoire qui ne soit que du sexe. Je veux d’abord que nous y mettions des sentiments profonds. Le reste viendra après. »
Une solide idée reçue sur la masculinité vient de s’écrouler. Ainsi, les hommes, réputés pour « parler » avec leur sexe, quels que soient leurs sentiments, seraient aussi prisonniers de leurs états d’âme… François-Xavier Poudat le confirme : « A peine la moitié des hommes peuvent faire l’amour sans sentiments. Les autres ont besoin d’une sécurité affective et de tendresse pour passer à l’acte. Mais il ne leur est pas encore très facile de le dire, notamment parce que certaines femmes veulent une virilité sans faille au lit. Et je remarque que ces hommes à la recherche de douceur vivent bien souvent avec des compagnes “bousculantes”. »
Ces problèmes de libido, Alain Mimoun les relie au changement du rapport hommes-femmes dans la société : « Les “nouvelles femmes” se montrent exigeantes et disent ouvertement ce qu’elles pensent (“J’ai connu mieux”, etc.), ce qui déstabilise les hommes. Un type dont la partenaire lui avoue qu’elle n’éprouve pas de plaisir avec lui va se mettre à douter, à s’angoisser et se bloquer. »
Soumis à la pression
Et il n’y a pas qu’au lit que l’homme est astreint à la performance. Dans sa vie professionnelle et sociale, il est aussi soumis à une pression parfois intenable. L’anxiété, le stress, le surmenage ou le chômage sont autant de nouvelles causes psychiques à sa perte de libido. Car elles s’accompagnent bien souvent d’un manque d’estime de soi. « Or, insiste Gérard Leleu, il faut croire en soi pour faire l’amour. L’anaphrodisie, l’absence de désir sexuel, est d’ailleurs un signe majeur de la dépression. Et si on y ajoute la prise d’antidépresseurs ou d’anxiolytiques, la libido est alors sérieusement perturbée. »
Ainsi, Arnaud, 40 ans, chômeur de longue durée et consommateur de pilules sur ordonnance, avoue qu’il n’a pas fait l’amour depuis un an et demi. Lui qui a connu vingt ans d’une vie parisienne remplie de fêtes et de rencontres impute cet inédit manque d’appétit à un écheveau de causes emmêlées. Sa dernière liaison s’est terminée alors que ses projets professionnels s’effondraient, ruinant son bel optimisme et sa confiance en lui. Il s’est retiré dans une lointaine banlieue pour prendre du recul et « par peur du monde ». « Je n’ai pas de baisse de désir strictement physique, explique-t-il, mais je n’ai pas envie d’être disponible et de revenir dans la compétition. C’est dur à faire comprendre aux jeunes femmes célibataires en quête d’un homme. »
Les nouveaux dominateurs ?
Et les femmes justement : comment vivent-elles cette « désertion » des hommes ? Sofia, belle Méditerranéenne de 45 ans, a vécu un an de passion déçue avec un architecte suédois du même âge. « Il était aussi froid que j’étais chaude, ironise-t-elle. C’était d’abord une fois par semaine, puis tous les dix jours, puis tous les mois. Et il n’était pas câlin. Au lit, il me tournait le dos. Je devais presque le violer, et il me le reprochait en disant que nous n’étions pas des animaux. Peu à peu, j’ai compris ce qui clochait : la frustration sexuelle était une manière pour lui de me maintenir dans un état de dépendance. »
Christine, 46 ans, parle aussi de manipulation. L’homme avec qui elle a rompu l’année dernière, cadre dirigeant d’une multinationale, la faisait courir entre Paris et Londres. Et ne la touchait pas. Des deux côtés de la Manche, il multipliait les rendez-vous auxquels il ne se rendait pas. « Il me dirigeait comme il dirigeait ses employés, confie-t-elle. J’avais l’impression de n’être rien. C’était du harcèlement moral. » Pour Gérard Leleu, « la manipulation entre bien en jeu quand l’un refuse d’accéder au désir de l’autre et de le satisfaire. Mais c’est plutôt une attitude féminine. On trouve d’ordinaire plus de femmes que d’hommes qui se refusent en prétextant des migraines. » Certains hommes d’aujourd’hui semblent pourtant s’approprier cette vieille technique de domination. Une conséquence inattendue de l’égalité des sexes…
Moins vigoureux, les français ?
Selon une étude récente (Sondage international Ipsos sur la sexualité masculine pour les laboratoires Bayer, mai 2005), les mâles français imputent d’abord leur baisse de libido à des problèmes de couple – tensions avec leur partenaire, crainte de la décevoir – plutôt qu’à des problèmes personnels de santé ou à des causes externes. Ils sont aussi les plus nombreux (46 %, contre 21 % des Italiens par exemple) à déclarer avoir des problèmes d’érection. Ce dernier chiffre laisse songeur : nos hommes sont-ils vraiment moins vigoureux que leurs compères européens… ou simplement plus francs ?
L'asexualité : un quatrième genre ?
Ils sont hétéros, homos ou bis, mais se revendiquent avant tout « a ». A comme asexuels. C’est-à-dire totalement désintéressés par les rapports sexuels. Aux Etats-Unis, selon une enquête de l’université de Chicago, ils constitueraient 2 % de la population. Une étude du Kinsey Institute de l’université d’Indiana nuance cependant le propos : les asexuels témoigneraient de comportements sexuels similaires à la moyenne, mais sans les désirer vraiment. Selon l’Aven (Asexual Visibility and Education Network, organisation qui milite pour la reconnaissance des asexuels. Site Internet : www.asexuality.org), les asexuels ne sont d’ailleurs pas forcément célibataires. Certains sont mariés, d’autres prêts à faire des enfants ou à se satisfaire de relations platoniques.
Face aux psychologues et psychiatres, qui qualifient cette libido zéro de « désir sexuel hypoactif », les membres d’Aven répondent: « Le plus dur est de convaincre les autres qu’il ne s’agit pas là d’un problème. » Ceux-ci rêvent même d’une révolution comparable à celle qui a sorti les gays de l’« anormalité »…
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